Dans le cadre d'un compte-rendu en Histoire Littéraire...
Étant en
Études Théâtrales, nous avons choisi d’assister à une pièce de théâtre ;
nous trouvions que cela serait plus intéressant pour enrichir le cours
d’Histoire Littéraire, mais aussi les cours de théâtre théorique comme la
Dramaturgie ou l’Histoire du théâtre, ou même pour notre pratique. Nous avions
lu des extraits de La Controverse de
Valladolid (romancée par Jean-Claude Carrière), et vu le film de
Jean-Daniel Verhaeghe, c’est pourquoi nous avons choisi cette pièce. De plus,
nous pensions que le sujet devait être intéressant à mettre en scène, n’étant
pas une « histoire » fictive, mais une réelle querelle historique
s’inscrivant dans une optique philosophique et anthropologique.
I-
Présentation
générale du spectacle :
Au 16e siècle,
après la découverte des Amériques de Christophe Colomb en 1492, les colons
souhaitent piller l’or, et réduire à l’esclavage les populations amérindiennes
qu’ils considèrent inférieures et barbares. Des massacres ont lieu, sanglants,
les femmes sont violées et les hommes tués s’ils résistent à l’autorité des
colons, se traduisant par un véritable génocide. Bartolomé de Las Casas, un
jeune homme de 18 ans, part à la découverte du nouveau monde en 1502, il y
découvre alors le traitement donné aux Amérindiens, et décident de lutter
contre ces massacres, d’abord sur place, puis il revient en Espagne pour faire
entendre sa voix. C’est en 1550 que s’ouvre La Controverse de Valladolid (nom
d’une ville espagnole), à l’initiative de la Royauté Espagnole, et de l’Eglise.
Juan Gines de Sepulveda, philosophe et traducteur d’Aristote, constitue
l’opposition face à Las Casas. Il a en effet écrit un manifeste sur la
supériorité et le droit des colons sur les Amérindiens, qu’ils jugent bestiaux
et barbares. Pour l’Eglise et La Royauté, il s’agit uniquement de déterminer si
ces massacres – s’ils existent – sont pratiqués au nom de la chrétienté ;
et d’accepter ou non la publication du livre de Sepulveda. Quant à Las Casas,
il préfèrerait voir l’enjeu de plus grande ampleur, et condamner cette
pratique, en admettant que les populations indigènes sont l’égal des colons. La
pièce est fondée sur le roman de Jean-Claude Carrière, lui-même adapté du fait
historique. Ainsi, une longue Controverse qui s’est déroulées en deux périodes
d’un mois sur deux ans, prend ici une forme de débat assez court. Au final,
après de longues heures de plaidoyers, la venue d’une Amérindienne et de son
enfant, l’ « audience » décide d’interdire la publication du
manifeste de Sepulveda, permettant ainsi d’éviter la diffusion d’idées racistes.
II-
Structure et analyse de l’œuvre
La représentation
commence dès l'instant où le spectateur franchit la pièce : la salle est
étroite, confinée, une odeur d'encens ajoute un aspect mystique et vieilli à
l'espace. D'une petite chapelle adjacente s'élève une prière chantée a
cappella par une voix d'homme, grave et solennelle, et une voix de femme.
Le spectateur est invité à rentrer dans une autre époque.
La pièce de théâtre, s'inscrivant dans la lignée du livre et du
film, met en scène un débat d'idées, c'est à dire la mise en opposition de deux
argumentations. Le personnage de Las Casas incarne la défense des indiens,
proclamant leur humanité au même titre que les espagnols, tandis que Sepulveda
se lance dans la démonstration selon laquelle les indiens sont des êtres inférieurs car bestiaux et impies.
Toute la mise-en-scène de la pièce tourne autour de cette césure
d'opinion, l'appuyant en mettant en avant l'opposition entre les deux orateurs
et leur discours.
Personnage passionné, Las Casas appuie ses démonstrations par un
registre plus empirique que pragmatique, se fondant sur son cœur plus que sur
un raisonnement construit. Sa parole, qui dans un premier temps semblait forte
de par l'emploi de la première personne (« j'ai vu » « je suis
allé ») et donc l'apport d'un témoignage de poids, est vite corrompue par
l'utilisation répétitive d'hyperboles, et le passage du l'utilisation du
« je » au « on » ; le témoignage direct passe à la
rumeur, le discours n'est plus fondé sur la certitude du propos. La véhémence
du personnage, qui va retourner la situation contre lui à différents moments de
la pièce, est donc à mettre en avant. La mise-en-scène de Antonio Díaz-Florián
intègre cet aspect du personnage, en lui donnant une mouvance sur scène que les
autres personnages n'ont pas (mis-à-part le juge, également mouvant car passant
d'un « camp » à l'autre, pour alterner les interventions). Las Casas
a des mouvements brusques (lève les bras en signe d'indignation, marche d'un
pas rapide puis s'arrête brutalement à l'entente d'une parole prononcée, jette
les papiers du juge au sol sous l'effet de la colère,...), ainsi qu'une palette
de tons de voix très large, car animée par des émotions variées (le registre
est souvent pathétique, dans la plainte du peuple aborigène, puis soudain
colérique en réaction à une remarque de Sepulveda, conciliante lorsque le juge
va dans son sens).
A contre pied de Las Casas, Sepulveda est un personnage très
statique, dont les seuls mouvements sont essentiellement verticaux, lorsque
l'homme passe de la position assise à la position
debout. La force de son discours ne réside pas, comme Las Casas, dans les
émotions qu'il contient, mais dans un système rhétorique pragmatique et froid,
dénué de dimension empirique. La mise-en-scène apporte beaucoup de dureté à ce
personnage, en minimisant chacun de ses gestes et tonalités de voix ; tout
le corps du comédien est raidi, très droit et tendu (en opposition à Las Casas
qui est beaucoup plus souple dans ses mouvements). Ses mouvements acquièrent
ainsi une force supplémentaire. Par exemple, lorsque Sepulveda pointe son doigt
sur Las Casas en l'accusant de falsification, le geste s'accompagne d'un
évident pouvoir d'accusation, c'est une attaque directe à la parole de Las
Casas.
Pendant plus d’1H30 de spectacle, l'action toute
entière se centralise autour de cette question anthropologique. Gardant à
l'esprit qu'il s'agit ici d'une pièce de théâtre, qualifiable de
« spectacle vivant », on se pose la question de savoir comment ne pas
tomber dans le piège que le texte semble amener. En effet, la pièce étant
essentiellement dialoguée, et proposant un grand nombre de questions
philosophiques complexes, le metteur-en-scène prend le risque de perdre
rapidement son spectateur, en le mettant face à un spectacle très statique.
Antonio Díaz-Florián réussit néanmoins à stimuler
l'intérêt du spectateur par une mise-en-scène soignée ; la reconstitution
minutieuse d'un tribunal du XVIe siècle est proposée, de par le décor (lustres,
pièce en bois, chaises/gradins en bois pour le public avec coussins du style de
l’époque), les objets présents sur scène (plumes, encre, manuscrits par
exemple) et les costumes des comédiens. Le spectateur est également mis à
contribution, et se sent concerné par sa disposition dans l'espace (les
spectateurs entourent la scène, formant une assemblée juridique) et l'adresse
directe des acteurs (le juge demande au public s'il souhaite intervenir pour
faire avancer le débat). Des ressorts dramatiques ponctuent parfois le
spectacle, amenant un nouveau point de vue (l'intervention d'un comédien placé
dans l'assistance), ou un nouveau rebond à la discussion (lorsqu'une pierre
aztèque est amenée sur scène, proposant une réflexion sur la notion subjective
du « beau », ou lorsqu’une femme amérindienne est amenée devant le
juré).
III-
Extrait
On s'intéresse à
l'arrivée sur scène d'un morceau de pierre, extrait d'un monument sacré
amérindien. Ce passage du spectacle est intéressant car amène un nouveau
ressort à l'action, et stimule un nouveau débat tournant autour de la question
du « beau » et de l'art.
Annoncée par Sepulveda, une réelle mise-en-scène de
l'arrivée du morceau de l'édifice se met en place : l'assemblée est en
haleine, de par ce système d'attente que Sepulveda crée.
La pierre est ensuite amenée sur scène, recouverte
d'un drap. La curiosité de l'assistance juridique (et par conséquent du public)
est piquée, car c'est le premier élément concret, et donc s'éloignant de la
simple parole, qui est amené à nos yeux. Nous est donné à voir une partie de la
culture de ce peuple dont il est question, et qui soulève tant de questions.
Le drap est ôté, c'est un coup de théâtre. Les jurés
ont une réaction violente, poussent des exclamations surprises, indignées,
horrifiées. La sculpture s'éloigne de la définition européenne de l'art, est
décrite comme « grossière ».
Mais comment définir ce qui est beau, privilégier une
forme artistique sur une autre ? Cette notion est subjective. Chaque
peuple, selon sa culture, sa foi, son histoire, a un système artistique réglé
par des conventions. Sortir de la conception qu'on nous a inculquée depuis notre naissance, pour
adopter le point de vue d'une culture différente, demande un grand effort de
distanciation.
Cette distanciation était-elle réellement envisageable au XVIe
siècle, où la religion catholique en Europe, et notamment en Espagne, est alors
encore profondément ancrée dans les conceptions ? Fondant ce relatif
système de foi comme vérité absolue et universelle les espagnols ne peuvent
concevoir une croyance et des divinités différentes de la leur. On peut penser
que Las Casas se démarque de son temps d'une certaine manière, précurseur de
l'ouverture culturelle que l'humanisme enseigne comme valeur fondamentale.
|
IV-
Un
spectacle en lien avec le cours
Au XVIe siècle, un
courant apparaît : l’humanisme de la Renaissance. L’homme est remis en
question, notamment avec la découverte de l’altérité. La colonisation des
Amériques va engendrer une réflexion anthropologique et philosophique de la
part des intellectuels humanistes. Qui sommes-nous par rapport aux
Indigènes ? Et ces derniers ne seraient-ils pas meilleurs que nous ?
La Controverse de Valladolid illustre parfaitement les deux grandes oppositions
de l’époque. On cherche à savoir si ces Indigènes sont humains (et donc l’égal
des colons), ou s’ils sont inférieurs. Montaigne décrit, dans Les Essais I,
chapitre 31, la vie des Indigènes cannibales, leurs mœurs, sans toutefois y
porter un jugement. Il s’agit alors d’une véritable recherche ethnologique. Les
mœurs, parfois jugées cruelles comme le cannibalisme, sont critiquées par
l’Eglise. En effet la Papauté voit leur religion et leur culture comme
universelles, elle va donc souhaiter « civiliser » ceux qu’elle pense
« barbares », s’enfermant ainsi dans une vision ethnocentrique de l’homme.
V-
Avis
Partant un peu sceptique, nous
avons été agréablement surprise par l'adaptation scénique de La Controverse de Valladolid. Le film
nous avait en effet laissé un goût amer dans la bouche, par une mise-en-scène
statique et la profusion de questions philosophiques qui rendait le tout
parfois indigeste. Le théâtre amène un rapport très différent au texte, tout
d'abord par le rapport direct que le spectateur a avec la pièce et les
comédiens. Nous faisions partie de l'assistance, et nous sentions directement
concernés par les propos tenus par les comédiens/juristes.
L'atmosphère confinée et pesante qui régnait dans l'espace
ajoutait à la tension qui prenait place tout au long du débat. Le jeu des
comédiens étaient juste, subtile mais énergique, ce qui était réellement appréciable.
Nous trouvons néanmoins que
Sepulveda utilisait incessamment la même intonation, ce qui pouvait amener le
spectateur à « décrocher » lors de ses longues tirades. A contrario,
Antonio Diaz-Florián variait
son discours, créant ainsi des ruptures au sein de celui-ci.
La Controverse
de Valladolid est intéressante tout d’abord d’un point de vue d’apport de
connaissances historiques, mais aussi d’un point de vue philosophique. En
effet, par une mise en scène de ces débats, le spectateur est amené à réfléchir
sur l’homme et sa condition, et la réflexion va pouvoir s’appliquer à notre
monde moderne. Les minorités ont toujours été persécutées, et continuent de
l’être, comme ce fut le cas des Juifs ou des Arméniens, ou plus récemment du
génocide des Tutsis au Rwanda. Cette réflexion est bénéfique, et se met plus
facilement en place par le biais du théâtre. Cela rappelle le phénomène de la
catharsis, d’Aristote. La réflexion qu’engendre le théâtre nous purge ainsi des
passions
Fiche technique du spectacle :
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Adaptation et mise en scène
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Antonio Díaz-Florián
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Comédiens
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Antonio Díaz-Florián – Bartolomé de LAS CASAS
Alexandre Palma Salas – Juan Gines de
SEPULVEDA
Hamid Javdan – Frère
ROMO
Yvon Jacquet – Le
Colon RAMÓN
Linda Primavera –
L’Indienne
Smael Benabdelouhab –
Le Cardinal Salvatore RONCIERI
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Costumes
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Abel Alba
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Espace scénique
|
David León
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Lumières
|
Quique Peña
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Production
|
Théâtre de L’Épée de
Bois
|
Anaïs S et Flandrine R
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