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samedi 18 février 2012

RUBBER (Quentin Dupieux) : histoire d’un pneu

RUBBER (Quentin Dupieux) : histoire d’un pneu

"Pourquoi dans le film de Steven Spielberg E.T. est-il marron ? Pourquoi dans Massacre à la tronçonneuse personne ne va jamais aux toilettes ? Pourquoi dans Love Story, les deux personnages tombent-ils amoureux ? Pourquoi ne voit-on pas l’air autour de nous ? No-reason" C’est par ce monologue que débute le film, un hommage à l’absurde, au foldingue, au déjanté (c'est le cas de le dire, si je puis me permettre), a tout ce qui échappe à la compréhension, comme ce film : Rubber. 





Le pneu (Robert) contemplant le bûcher où l’on brûle ses semblables.


Le crépuscule. Un pneu couvert de sable dans une décharge abandonnée qui tente tant bien que mal de s’extirper de l’ensevelissement. Mais tout juste levé et à la surprise générale, il explose tout sur son passage. Rubber c’est l’histoire d’un pneu serial killer et télépathe... (non, sans blague) un road-movie loufoque mais tout en élégance.


Ce qui aurait pu n’être ici qu’une histoire de têtes dégommées à la chaîne pour une raison assez vague de vengeance (car il s’agit là de la trame du film : un pneu psychopathe qui se met en «tête» de venger le massacre de son espèce, brûlés dans une décharge) se prend à la philosophie. Il s'agit ici de personnifier un des objets qui suggère le moins l’humain : on donne une histoire à ce pneu, on lui donne des souvenirs, comme dans cette scène où  il se retrouve face à son reflet dans le miroir, peut être un des meilleurs moment du film.

Ce pneu est humain par tous les aspects de sa personnalité et, bizarrement (même si à ce point du film, rien ne peut plus nous surprendre), ses désirs se dirigent vers la race humaine aussi, pour cette jeune femme qu’il poursuit de ses ardeurs. Un personnage dit  «c’est la première fois que je m’identifie à un pneu» quand  «Robert» surprend la jeune femme sous la douche.

L'originalité de ce film tient aussi à une mise en abîme du cinéma : une bande de spectateurs en jumelle au milieu du désert californien assiste avec nous au film (l'épopée de Robert le Pneu) jusqu'à ce que tout se mélange. La réalité se mélange avec le film qui devient la réalité,  tout s’entremêle,  le réel vient rendre visite au fictif et vice versa : on nous laisse dans le vague et cela constitue une grande part de la richesse de cette réalisation audacieuse.

Loin des schémas préconçus d’Hollywood où tout est souvent clair et prévisible, Quentin Dupieux nous livre alors un petit bijoux où ce qui est incompréhensible n’en ait pas moins délectable. Avec ses têtes déchiquetées ou ses animaux en morceaux, on pourrait croire qu’il fait dans le gore... Mais c'est sans compter la photographie impeccable de ces plans dans lesquels le pneu, masse de caoutchouc noir, se découpe dans une lumière crépusculaire. Des plans lents, en suspension dans le temps, dans lesquels la musique semble vibrer en harmonie avec le vent qui souffle sur ce désert de Californie. La beauté dans l'absurdité, de l'absurdité dans la beauté.

Comment terminer sans parler de cette scène qui à elle seule est une caricature du cinéma ? Celle dans laquelle --spoiler-- le chef de la police tente de convaincre ses collègues qu'ils jouent dans un film. On pourrait presque voir le réalisateur ricaner en l'écrivant. Relever l'illusion du cinéma dans un film c'est nous donner une petite piqûre de rappel de ce qui est devenu une évidence. Les évidences font rire, mais elles font  aussi réfléchir. Rappelons nous que ce n'est qu'un film.

Rubber a été tourné en quatorze jours à l’aide de deux appareils photos. Il donne ainsi la preuve que les gros moyens ne font pas la réussite d’un film. Et pour celui là il n’y aucun doute : 
c'est une ode à l’absurde, dans le sens poétique du terme. Magistral.


Anaïs F. (2010)

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